Elles sont puissantes, brillantes, radicales, drôles ou bouleversantes. De la Quinzaine des Cinéastes à la Compétition officielle, elles impriment leur vision, leurs récits et leurs combats sur la pellicule. En cette 78ᵉ édition du Festival de Cannes, les femmes derrière la caméra imposent leur voix et prouvent que le cinéma au féminin n’est ni un genre, ni une exception, mais une force créative incontournable.
Un vent de changement sur la Croisette
En 2024, seules 4 femmes figuraient en Compétition officielle face à 18 hommes. Cette année, le Festival de Cannes 2025 fait un pas, timide mais notable, vers la parité : 6 réalisatrices sélectionnées face à 13 réalisateurs. C’est peu, mais c’est mieux. Une dynamique portée par la présidente Iris Knobloch, qui rappelle la vocation du Festival : être un refuge pour toutes les voix du cinéma mondial, quelles que soient leur origine ou leur identité. Avec 2 909 films visionnés par le comité, dont 32 % réalisés par des femmes, la richesse de la création contemporaine féminine ne peut plus être ignorée.
Parmi les figures les plus attendues, Julia Ducournau, déjà Palme d’or en 2021 pour Titane, revient avec Alpha, œuvre sensorielle et viscérale. À ses côtés, Lynne Ramsay présente Die, My Love, adaptation hallucinée d’un roman sombre et poétique, tandis que Hafsia Herzi, récemment césarisée, émeut avec La Petite Dernière, tirée du récit autobiographique de Fatima Daas. Trois femmes, trois univers, un même désir : celui de repousser les normes, de déranger les attentes, de libérer le langage cinématographique.
Premiers pas, grands effets : la nouvelle génération s’impose
Les premiers films présentés cette année témoignent d’une vitalité exceptionnelle du jeune cinéma féminin. À commencer par Kristen Stewart, dont le très personnel The Chronology of Water, adaptation des mémoires de Lidia Yuknavitch, a secoué la Semaine de la Critique. Portée par Imogen Poots, cette œuvre magnétique évoque la douleur et la résilience féminine dans un flot de scènes brutes, poétiques et parfois insoutenables. La mise en scène, influencée par Sofia Coppola, Terrence Malick et Godard, affiche un style audacieux, libre, instinctif.
Autre révélation, Joséphine Japy, qui passe derrière la caméra avec Qui brille au combat, coécrit avec Olivier Torres. Inspiré de sa propre histoire familiale, le film explore la relation complexe entre deux sœurs, l’une d’elles souffrant d’un handicap profond. En confiant l’un des rôles à Mélanie Laurent, son ancienne réalisatrice, Joséphine boucle la boucle avec une délicatesse bouleversante. Sa caméra ne cherche pas le pathos, mais une vérité nue, tendre, souvent silencieuse. Un film qui laisse une empreinte durable.
Stars devenues cinéastes : quand la notoriété change de camp
Voir Scarlett Johansson passer de l’autre côté de la caméra est un événement en soi. Pour son premier long-métrage, Eleanor The Great, présenté dans la section Un Certain Regard, l’actrice s’entoure de talents confirmés : June Squibb, Chiwetel Ejiofor et Hélène Louvart à la photographie. Le film, tourné à New York, raconte l’amitié inattendue entre une nonagénaire et une étudiante, dans une narration douce-amère aux accents de Sean Baker. Accueilli avec chaleur par la critique, ce film confirme que Scarlett ne brille pas uniquement devant l’objectif.
Autre figure connue, Laura Wandel, cinéaste belge révélée par Un monde, confirme son talent avec L’Intérêt d’Adam, drame psychologique tendu, porté par une Léa Drucker incandescente. Caméra à l’épaule, plans serrés, hors-champ maîtrisé : Wandel choisit la rigueur, presque l’austérité. Mais dans cette économie de moyens surgit une intensité rare. Chaque geste compte, chaque silence devient parole. Un cinéma organique, viscéral, exigeant — et pourtant profondément humain.
Récits féminins, récits universels
Le cinéma féminin ne se limite pas aux histoires de femmes, mais il les raconte autrement. La preuve avec Sorry, Baby de Eva Victor, ovationné à la Quinzaine des Cinéastes. Primo-réalisatrice, scénariste et actrice principale, elle offre un récit semi-autobiographique sur un viol universitaire — mais choisit d’en parler par la guérison, non par la violence. La narration à rebours, portée par une direction artistique fine et un humour inattendu, bouleverse. Le soutien de Barry Jenkins à la production laisse présager un parcours prometteur, voire une pépite générationnelle.
Dans un registre plus littéraire, Anna Cazenave Cambet livre Love Me Tender, adaptation du livre de Constance Debré. La cinéaste française, déjà remarquée avec De l’or pour les chiens, met en scène Vicky Krieps dans le rôle d’une mère confrontée à la perte de la garde de son fils après avoir assumé son homosexualité. La réalisation, d’une pudeur extrême, capte la violence intime de la marginalisation avec une grâce désarmante. Ce film est un choc, un cri retenu, une main tendue vers toutes celles qui luttent pour exister autrement.
Cannes 2025, laboratoire du cinéma de demain
Si la parité reste un objectif à atteindre, cette édition prouve que le talent féminin s’impose partout : en Compétition, dans les sections parallèles, sur les bancs des conférences de presse. Les réalisatrices n’attendent plus qu’on leur ouvre la porte. Elles entrent, elles prennent la lumière, elles modèlent le futur du cinéma avec leurs obsessions, leurs langages, leur courage. Elles racontent le monde, non pas dans ce qu’il prétend être, mais dans ce qu’il cache, ce qu’il tait, ce qu’il refoule.
Cannes 2025 n’est pas seulement un festival. C’est un miroir tendu à notre époque, où les récits féminins, queer, intersectionnels ou militants, trouvent enfin leur place dans le grand théâtre du 7ᵉ art. Une révolution en douceur, mais résolue, qui célèbre le cinéma dans toute sa diversité et son audace. Un cinéma vivant, combatif, en perpétuelle réinvention — porté par des femmes qui, désormais, ne demandent plus la parole : elles la prennent.
En révélant des parcours puissants, en donnant à entendre de nouvelles voix et en célébrant la complexité des récits féminins, cette édition 2025 du Festival de Cannes s’impose comme un tournant. Ces réalisatrices ne sont pas l’exception : elles sont le présent, et surtout l’avenir du cinéma. Et leur langage, qu’il soit douloureux, drôle ou déroutant, est celui d’un monde en pleine mutation.