Mystérieuse, indomptable et radicalement singulière, Michèle Lamy est bien plus qu’un visage excentrique de la mode. Née dans le Jura, passée par le droit, la danse, la gastronomie et l’art, elle incarne une vie en perpétuelle métamorphose. Compagne et muse du créateur Rick Owens, elle influence depuis trente ans les sphères les plus avant-gardistes de la création. Entre rituels païens et passion pour la boxe, cette femme-oracle cultive l’insaisissable et brouille à merveille les frontières entre art, style et spiritualité.
Une vie aux mille renaissances
Avant d’être cette icône underground au style inimitable, Michèle Lamy fut une avocate passionnée par la pensée critique et la subversion intellectuelle. Elle naît dans une famille d’origine algérienne, dans le Jura, et se forme au droit, exerçant un temps comme pénaliste dans les années 60 et 70. Marquée par Mai 68 et les courants post-structuralistes, notamment Deleuze, elle finit par rompre avec la logique judiciaire pour se tourner vers le corps, le mouvement, la scène. Devenue danseuse de cabaret, elle commence alors une exploration de l’identité par l’art vivant.
Son aventure américaine débute en 1979, lorsqu’elle s’installe à Los Angeles. Aux côtés de son premier mari, Richard Newton, réalisateur expérimental, elle ouvre des lieux hybrides comme le Café des Artistes et Les Deux Cafés. Bien plus que de simples restaurants, ces espaces deviennent de véritables salons artistiques où se croisent intellectuels, performeurs et initiés de la scène alternative. À la fois maîtresse de maison et chef d’orchestre de happenings décousus, Lamy transforme la vie nocturne californienne en théâtre d’avant-garde.
Énigme bohème et icône païenne
Michèle Lamy fascine autant qu’elle déroute. Son apparence de prêtresse gothique, ses gestes enveloppés de mysticisme et ses rituels artistiques nourrissent les fantasmes. Elle est perçue comme une sorcière urbaine, une chamane moderne qui défie le temps linéaire et préfère invoquer les esprits que suivre une carrière conventionnelle. Ses obsessions pour le vide, le chaos créatif et la transformation l’ont placée au centre de nombreux mythes, certains racontant même qu’elle aurait orchestré des messes noires.
Mais derrière ces allures d’oracle marginale, Michèle Lamy est aussi une amoureuse du faire. Elle a été charpentière, restauratrice de meubles, et ne cesse d’expérimenter la création sous toutes ses formes. Chanteuse occasionnelle dans le groupe Lavascar, aux côtés de sa fille Scarlett Rouge, elle s’est aussi produite avec A$AP Rocky. Passionnée de boxe, elle a transformé cette discipline en langage artistique, allant jusqu’à concevoir une installation immersive pour la Biennale de Venise dédiée à cet art du combat.
Un corps devenu manifeste esthétique
Chaque partie de Michèle Lamy semble raconter une histoire. Ses dents en or ou serties de cristaux, ses doigts toujours tachés d’encre noire japonaise, ses bagues d’argent massives et ses tatouages berbères construisent un langage corporel unique. Elle s’affirme comme une œuvre mouvante, un artefact vivant traversé par les traditions, les rituels et la haute couture. Vêtue presque exclusivement de noir, elle emprunte volontiers à l’univers de Rick Owens, mais collectionne aussi les pièces de Comme des Garçons, Gareth Pugh ou Panconesi.
Ses choix vestimentaires ne répondent jamais aux tendances mais à une vision presque spirituelle de la mode. Les bijoux qu’elle porte — HUNROD, Loree Rodkin ou encore ses propres créations — deviennent des talismans, des amulettes prolongées de son âme artistique. Chaque accessoire, chaque teinte, chaque trace d’usure sur son corps dit quelque chose de sa manière d’habiter le monde, à la croisée du style, de l’art et du sacré.
L’ombre lumineuse de Rick Owens
Le couple qu’elle forme avec Rick Owens dépasse largement les frontières du sentimental. Rencontrés grâce au photographe Rick Castro, ils deviennent partenaires de vie et d’œuvre. C’est elle qui, au début des années 90, détecte le talent brut du jeune créateur et l’intègre à sa propre marque. Leur complicité prend une tournure amoureuse quand Rick ose lui avouer : “J’ai un crush sur toi, et toi tu as un crush sur moi.” Depuis, ils ne se sont plus quittés.
Installés à Paris depuis plus de vingt ans, leur collaboration prend la forme d’un dialogue permanent. Lui conçoit au premier étage du siège d’Owenscorp, elle expérimente au troisième. Michèle supervise les projets spéciaux, les bijoux, les meubles, les collaborations artistiques. En ce moment, c’est son univers qui est célébré dans l’exposition Rick Owens: Temple of Love au Palais Galliera. Une manière de rendre hommage à celle qui incarne l’âme libre, rebelle et inclassable de toute une esthétique.