Loin de l’effervescence parisienne, la France régionale déploie cet été une richesse artistique saisissante. De Porquerolles à Nantes, en passant par Rodez ou Metz, les musées et galeries s’animent de propositions créatives, inédites, souvent audacieuses. C’est l’occasion idéale de ralentir, d’explorer d’autres territoires et de découvrir des artistes majeurs ou des approches originales. Chaque exposition devient un prétexte pour voyager, questionner, ressentir autrement le lien entre culture et paysage. Ces rendez-vous estivaux, souvent installés dans des lieux de patrimoine ou en lien direct avec la nature, offrent un regard renouvelé sur l’art, au plus près des sensibilités contemporaines.
Entre abstraction et vertige sur l’île de Porquerolles
À la Villa Carmignac, l’exposition Vertigo propose une immersion sensorielle rare. Conçue par Matthieu Poirier, spécialiste de l’abstraction, elle réunit une cinquantaine d’œuvres qui explorent les limites de la perception. Ce parcours aux multiples strates formelles invite à perdre ses repères, à vaciller dans un dialogue subtil entre matières et paysages. Le lieu, niché sur l’île de Porquerolles, devient un laboratoire sensoriel où les forces naturelles – telluriques, aquatiques, cosmiques – traversent les œuvres. Le visiteur se laisse emporter dans un monde où la peinture et la sculpture deviennent des expériences physiques.
Le projet, en apparence spontané, est le fruit d’une longue recherche sur la phénoménologie de la perception. Poirier ne se contente pas d’accrocher des œuvres : il orchestre un dialogue silencieux entre l’espace naturel de l’île et les œuvres abstraites de l’après-guerre à nos jours. L’exposition échappe à la simple contemplation pour devenir parcours, mouvement, résonance. À rebours des clichés touristiques de la Méditerranée, Vertigo propose une lecture plus brute, plus intérieure de la nature, entre réminiscences sensorielles et épure formelle. Une expérience autant artistique que méditative.
Le dialogue des œuvres revisitées à Metz et Marseille
Au Centre Pompidou-Metz, le projet Copistes imagine une rencontre inédite entre passé et présent. Cent artistes contemporains ont revisité une œuvre du Louvre, en offrant leur propre lecture. Le résultat donne lieu à une confrontation stimulante entre les chefs-d’œuvre classiques et les langages plastiques actuels, où se croisent peinture, vidéo, vêtement ou sculpture. Jeff Koons, Claire Tabouret ou encore Julien Creuzet réinterprètent ainsi les icônes du patrimoine muséal sous un prisme personnel, ironique, poétique ou politique. L’exposition souligne combien l’héritage artistique est vivant, appelant toujours à être réinterrogé.
À Marseille, au Mucem, c’est Laure Prouvost qui prend possession du fort Saint-Jean avec une carte blanche aussi fantasque que poignante. Dans Au fort, les âmes sont, elle mêle objets des collections du musée, vidéos sous-marines et installations hybrides. Ses œuvres, toutes créées pour l’occasion, convoquent un imaginaire aquatique, fragile, parfois drôle, souvent touchant. Le corps, l’histoire et la mémoire y flottent ensemble, dans une esthétique sensorielle propre à l’artiste. Les espaces, rarement ouverts au public, deviennent ici théâtre d’un récit immersif, à la frontière du rêve et du tangible.
Icônes modernes et regards engagés à Toulouse et Rodez
À Toulouse, Mickalene Thomas investit les Abattoirs avec All About Love, une ode puissante à la féminité noire. Peintures, photographies, collages et vidéos forment un ensemble éclatant, où chaque œuvre vibre de textures, de couleurs et de sens. L’artiste s’inspire de l’essai de bell hooks pour penser l’amour comme une force politique. Ici, l’intime et le militant s’enlacent dans une esthétique luxuriante, presque baroque, où les corps représentés se réapproprient leur image. L’exposition, dense, engage un regard direct, sans filtre, sur l’histoire et les identités multiples de la diaspora noire.
À Rodez, le musée Soulages rend hommage à Agnès Varda à travers Je suis curieuse. Point., une exposition ample et lumineuse. Entre photographies inédites, extraits de films et installations, le parcours retrace la relation de Varda à la mer, aux cabanes, aux rivages. La cinéaste y apparaît comme une artiste totale, tissant des liens entre les images et les objets, entre l’enfance et la mémoire. Le dialogue avec des artistes proches comme Soulages ou Miquel Barceló enrichit encore cette plongée sensible. Plus qu’un hommage, c’est une conversation à plusieurs voix sur le regard, la liberté et la joie.
Figures historiques et jardins enchantés : entre tradition et réinvention
À Yvetot, la galerie Duchamp accueille une exposition dédiée à David Lynch, disparu cette année. Cinéaste culte, Lynch fut aussi peintre et graveur. Ses lithographies et gravures sur bois réalisées entre 2007 et 2020 révèlent une facette plus intime, plus directe de son univers sombre et poétique. Influencé par Hopper et Bacon, il développe un langage plastique à part entière. Sur trois étages, l’exposition dévoile un David Lynch plasticien à la fois dérangeant et contemplatif, dont les images hantent longtemps l’imaginaire.
À Monaco, le Nouveau Musée National consacre Les Années folles de Coco Chanel, une rétrospective foisonnante sur les liens entre mode et modernité. Dans le cadre lumineux de la Villa Paloma, l’exposition explore comment Chanel, dans l’entre-deux-guerres, a bouleversé les codes de la féminité, en dialogue avec les Ballets russes, les loisirs balnéaires et les arts plastiques. Plus de 200 pièces permettent de comprendre comment la couturière a inventé une esthétique de la liberté, influençant durablement le style de la Riviera. Entre histoire de la mode et art de vivre, une plongée dans l’esprit de création des années 1920.