Diffusée sur Arte.tv, Querer s’impose comme l’un des récits les plus puissants de cette année. En seulement quatre épisodes, la série espagnole d’Alauda Ruiz de Azúa explore avec justesse l’émancipation tardive d’une femme victime de violences conjugales. Épurée, bouleversante, portée par une interprétation magistrale, Querer est un témoignage viscéral sur la libération intime et les séquelles familiales.
Un choc narratif dès la première scène
Dès ses premières minutes, Querer saisit par la brutalité de son contraste. On entre dans l’histoire par une scène de désir charnel, sensuelle, puis très vite la caméra fige un cadre clinique : Miren, une femme de 50 ans, vient de porter plainte contre son mari après trois décennies de violences psychologiques et sexuelles. Ce point de départ fracassant donne le ton d’une série qui refuse toute forme de sensationnalisme pour mieux en révéler l’horreur ordinaire. La mise en scène sobre et rigide nous plonge dans un réalisme dérangeant, presque documentaire.
Le personnage principal, interprété avec finesse par Nagore Aranburu, porte le poids silencieux de tant de femmes : une douleur enfouie, banalisée, niée. Loin des clichés de la “femme battue”, Miren est une épouse respectable, mère dévouée, voisine discrète. En s’autorisant enfin à parler, elle brise une façade de normalité qui protège depuis trop longtemps l’agresseur. Querer expose alors ce que signifie vraiment partir : perdre des repères, affronter le doute, le silence, et surtout l’incrédulité de ceux qu’on aime.
Une mise en scène glaçante pour une réalité sans fard
Si la série marque autant, c’est aussi par sa rigueur formelle. Aucun fond musical, aucune dramatisation, aucun effet visuel : Querer choisit la sécheresse pour mieux montrer l’intensité. Une des scènes les plus marquantes se déroule dans un calme inquiétant : celle où Miren prépare son départ dans un enchaînement de gestes minutieux. On la voit retirer son alliance, plier ses vêtements, prendre de l’argent caché, décoller les photos de ses enfants. Une mécanique de fuite si bien rodée qu’elle en devient bouleversante… jusqu’à ce que son mari rentre plus tôt.
Ce retour soudain, presque attendu, rappelle que dans ces foyers en apparence paisibles, la peur est constante. Chaque mouvement est anticipé, chaque silence est pesant. La série montre avec justesse cette emprise insidieuse qui s’infiltre partout : dans les gestes, dans les habitudes, dans le regard des autres. Même ses fils ne comprennent pas. Ils doutent, la jugent, refusent de voir l’homme qu’ils aiment sous un autre jour. Cette complexité émotionnelle, jamais traitée de manière manichéenne, rend la série profondément humaine.
La déconstruction des liens familiaux et du masculin toxique
L’une des grandes forces de Querer, c’est sa capacité à élargir le prisme. Le récit n’est pas centré uniquement sur la victime, mais explore aussi les conséquences collectives. Le père, aimé de tous, devient un point aveugle dans l’analyse de la violence. Le fils aîné, Jon, reproduit sans le vouloir les comportements dominants du père, tandis que le cadet, Aitor, s’interroge sur sa propre masculinité. En mettant en lumière cette transmission inconsciente des rapports de force, la série dépasse la chronique judiciaire pour devenir analyse sociale.
Ce traitement intergénérationnel est particulièrement saisissant dans le dernier épisode. Sans jamais tomber dans le pathos, il pose une question essentielle : peut-on guérir sans reconnaître ? Peut-on aimer sans voir ? Il montre aussi qu’un cycle de violence peut être brisé, non pas seulement par les mots ou la justice, mais par les choix, les ruptures, les prises de conscience. Le chemin de la réparation est long, incertain, mais il commence par un acte de courage — celui de partir.
Un bijou de la fiction européenne, entre engagement et émotion
Avec Querer, la réalisatrice Alauda Ruiz de Azúa signe une œuvre rare et urgente. À travers un récit intimiste, elle aborde des problématiques universelles : le patriarcat ordinaire, la honte intériorisée, la solitude de celles qui parlent trop tard. La justesse de la série tient autant à son écriture maîtrisée qu’au jeu subtil de ses acteurs. En quatre épisodes seulement, Querer fait plus que dénoncer : elle éclaire, questionne, émeut.
Dans la lignée de séries comme Unbelievable ou Adolescence, elle rappelle que la fiction a un rôle politique à jouer. Qu’il est possible de bouleverser les consciences sans hurler, simplement en montrant. Si vous ne devez voir qu’une seule série ce mois-ci, c’est celle-là.
Sobre mais tranchante, intime mais universelle, Querer est une série nécessaire. Un récit d’émancipation lucide et déchirant, qui laisse une empreinte durable dans le regard… et la mémoire.