Thứ Tư, Tháng 7 30, 2025

Lucy Dacus, ou l’art de faire de l’amour un manifeste

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Membre du trio acclamé boygenius, Lucy Dacus revient cette année en solo avec Forever Is A Feeling, un album d’amour autant qu’un geste poétique, politique et musical. Portée par sa relation avec la musicienne Julien Baker, la chanteuse américaine nous entraîne dans un voyage intime et romantique où se croisent musique classique, confession queer et critique sociale. Rencontre dans sa loge parisienne, à l’heure où l’art redevient un acte de résistance.

Un album comme déclaration et comme refuge

Dans Forever Is A Feeling, Lucy Dacus ne chante pas simplement l’amour : elle le raconte, l’ausculte, le célèbre et l’exorcise. L’album s’ouvre sur un prélude aux accents classiques, tel un clin d’œil aux grands romantiques français que la musicienne affectionne — un hommage à Chopin, Debussy, à une idée de la beauté éthérée, sensible, presque surannée. Dans cet écrin musical, chaque morceau devient une lettre ouverte adressée à Julien Baker, sa compagne et collaboratrice. Mais sous la tendresse affleure une vulnérabilité lucide. L’amour, ici, n’est jamais un refuge naïf : il est un pari, une mise à nu, un saut dans l’inconnu.

L’album entier vibre de cette tension. Les paroles, d’une délicatesse fébrile, oscillent entre émerveillement et vertige. Dacus y parle de dents, d’églises, de baisers et de vide. “À quel point sommes-nous chanceuses d’avoir tant à perdre ?” demande-t-elle dans “Ankles”. Une simple phrase qui dit tout de la beauté fragile du lien. Ce n’est pas l’histoire d’un couple que l’artiste donne à entendre, mais celle d’un lien incandescent, menacé par le monde qui l’entoure.

Un romantisme à l’épreuve du réel

Paris, elle y revient souvent, dans la vie comme dans ses chansons. Pas le Paris-musée, mais celui du quotidien, des rues secondaires, des bancs publics, des hivers gris. C’est dans ce décor qu’elle a tourné le clip de “Ankles”, loin des clichés touristiques. Une forme de résistance douce, presque mélancolique. Pour Lucy Dacus, Paris n’est pas seulement une ville d’amour, c’est une échappée possible. Loin de l’Amérique qu’elle décrit comme “raciste, homophobe, affreusement chère”, et dans laquelle elle dit ne plus se reconnaître.

Son discours est franc, sans filtre, et d’une rare cohérence. À une époque où les artistes hésitent à s’engager de peur de froisser leur public ou de manquer une opportunité, Dacus ne transige pas. Même Barack Obama, pourtant figure de consensus culturel, n’échappe pas à ses critiques : elle le qualifie publiquement de “criminel de guerre”, en référence aux frappes de drones menées sous son administration. Ce refus d’être instrumentalisée confère à sa musique une profondeur politique qui dépasse le cadre intime. Elle chante l’amour, mais jamais dans un vide aseptisé. Chaque geste, chaque note, chaque mot est situé, incarné, traversé par l’époque.

Composer à la manière des anciens pour parler au présent

Musicalement, Forever Is A Feeling déjoue les attentes. Alors que la pop moderne se veut souvent tournée vers l’électronique et les expérimentations digitales, Dacus regarde en arrière, du côté du piano, du violon, du prélude. Ce choix n’a rien de nostalgique : il s’inscrit dans une volonté de réactiver les codes d’un romantisme historique pour mieux servir son propos. En puisant dans le langage de la musique classique, elle donne à ses chansons une dimension intemporelle — celle d’un amour qui dépasse l’instant pour s’inscrire dans une tradition sensible, presque littéraire.

Ce jeu d’écho entre passé et présent devient le fil rouge de l’album. Comme si, face à l’absurdité du monde contemporain, la réponse résidait dans une forme d’élégance oubliée. Dans la lenteur. Dans les silences. Dans les mots simples et puissants, à la manière de ceux que l’on écrivait à la plume sur du papier crème. Lucy Dacus ressuscite les élans des poètes romantiques sans jamais verser dans la mièvrerie. Parce que dans cet amour-là, il y a aussi la peur, l’attente, le doute, l’absence. Autant de nuances qu’elle cisèle avec une justesse bouleversante.

Fluidité, identité et affection partagée

Dans ses textes comme sur scène, Lucy Dacus interroge la notion de genre avec une aisance assumée. Un jour en robe, le lendemain en costume, elle dit suivre son humeur plus que tout autre code. “C’est le premier album où je dis clairement ‘tu es ma copine’”, note-t-elle. Une affirmation d’autant plus forte qu’elle n’est jamais mise en scène comme militante, mais comme naturelle, évidente. Il ne s’agit pas de revendiquer : il s’agit d’exister, et de le faire avec douceur, honnêteté, poésie.

Cet équilibre entre engagement et pudeur donne à Forever Is A Feeling une place à part dans le paysage musical actuel. À contre-courant de l’hyperproduction émotionnelle, Lucy Dacus murmure là où tant d’autres crient. Elle confesse, sans s’excuser. Elle aime, sans s’expliquer. Et dans ce mouvement-là, elle dit peut-être plus de notre époque que bien des pamphlets ou des manifestes.

L’amour comme résistance élégante

Il y a, dans la musique de Lucy Dacus, une forme de révolte discrète mais radicale. Refuser le cynisme. Refuser la vitesse. Refuser de faire semblant. En cela, Forever Is A Feeling n’est pas seulement un disque d’amour : c’est un geste de foi. Une foi en la beauté, en la musique, en l’autre. Une foi que même dans un monde en ruines, il reste des notes à chanter, des promesses à faire, des peaux à toucher.

Suspensif, limpide, mélancolique et incandescent, l’album se tient en équilibre, comme son autrice : entre deux langues, deux villes, deux époques. Il affirme sans imposer, propose sans enfermer. Et surtout, il nous rappelle que parfois, aimer — vraiment aimer — reste la plus grande forme de courage.

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