Longtemps éclipsée par les collections féminines, la mode masculine chez Dior connaît une histoire aussi riche que discrète. De Christian Dior à Kim Jones, chaque époque a vu la maison se réinventer, entre élégance structurée, audace créative et influences contemporaines. Alors que Jonathan Anderson s’apprête à signer son premier défilé, retour sur les grandes étapes d’un vestiaire en constante mutation.
Des débuts discrets, mais stratégiques
Lorsque Christian Dior révolutionne la mode en 1947 avec le New Look, sa vision s’adresse avant tout aux femmes. Pourtant, dès les années 1960, l’univers masculin s’immisce dans l’histoire de la maison. Le lancement d’Eau Sauvage en 1966, puis la création de la ligne Christian Dior Monsieur en 1969, marquent une volonté d’élargir l’influence de la marque. Marc Bohan, à la tête de Dior à l’époque, imagine une silhouette masculine élégante, structurée mais sans excès. Bien que moins médiatisée, cette ligne pose les fondations d’un vestiaire raffiné, reflet de l’esprit de la maison.
Dans les décennies suivantes, les directeurs artistiques se succèdent sans jamais faire de la mode masculine une priorité stratégique. Pourtant, Dior reste actif : de Dominique Morlotti dans les années 1980 à Patrick Lavoix dans les années 1990, la maison entretient un dialogue discret mais constant avec les hommes. Ces collections restent longtemps en marge, indépendantes de la direction féminine. Mais l’arrivée d’un certain Hedi Slimane, en 2000, va changer la donne. C’est à ce moment-là que Dior Homme prend véritablement son envol et que la maison commence à écrire un nouveau chapitre.
L’ère Slimane : le vestiaire masculin entre en révolution
Nommé à la tête de Dior Homme en 2000, Hedi Slimane impose une vision radicalement nouvelle : silhouette extra-slim, allure androgyne, énergie rock. Son style tranche avec les tendances de l’époque et séduit immédiatement. Les costumes se resserrent, les lignes s’affinent, les références musicales s’invitent sur les podiums. Slimane ne propose pas seulement des vêtements, il crée une culture visuelle complète. Sa collection automne-hiver 2005-2006 devient culte : les jeans noirs skinny deviennent des objets de désir mondial, jusqu’à convaincre Karl Lagerfeld de perdre du poids pour pouvoir les porter.
Lorsque Slimane quitte Dior en 2007, il laisse un vide difficile à combler. Kris Van Assche lui succède avec une approche plus mesurée. Moins radical, plus accessible, son Dior Homme se recentre sur l’élégance classique. Il conserve le tailoring, mais en élargit les lignes, en adoucit l’attitude. Si son mandat est moins spectaculaire que celui de Slimane, il n’en est pas moins solide. Van Assche assume un rôle de transition à une époque charnière, où le streetwear s’apprête à bouleverser l’esthétique du luxe.
Kim Jones : streetwear, archives et tapis rouges
En 2018, Dior opère un tournant majeur en confiant les rênes des collections homme à Kim Jones. Venu de Louis Vuitton, où il avait modernisé le vestiaire masculin en le rapprochant du streetwear, Jones injecte à Dior une nouvelle énergie. Il rebaptise la ligne “Dior Men” et multiplie les shows événements à travers le monde. Mais loin de rompre avec l’héritage de la maison, il le magnifie. Il réinterprète les archives couture de Christian Dior avec des matières luxueuses, des drapés spectaculaires, et des silhouettes plus souples. Ses créations, souvent androgynes, séduisent autant la critique que les célébrités.
Jones réussit surtout à faire dialoguer passé et présent. Il revisite les codes maison (le tailleur, la fleur, la broderie) tout en créant des pièces emblématiques pour une nouvelle génération. Son travail sur les accessoires, les collaborations avec des artistes contemporains ou des labels street (comme Supreme chez Vuitton) font de lui un acteur incontournable de la mode homme actuelle. Son dernier défilé automne-hiver 2025-2026 est unanimement salué, cristallisant tout ce qu’il a su construire : une mode masculine sophistiquée, désirable, audacieuse et résolument globale.
Jonathan Anderson : l’héritier d’un héritage multiple
La nomination de Jonathan Anderson à la tête de Dior, annoncée en avril 2025, marque une nouvelle page prometteuse. Premier créateur à diriger à la fois les collections homme et femme depuis John Galliano, il incarne une vision complète de la maison. Fondateur de JW Anderson et directeur artistique de Loewe, il est reconnu pour son esprit conceptuel, sa rigueur de construction et son goût pour les références culturelles pointues. Son approche, à la croisée du vestiaire masculin classique et des expérimentations contemporaines, promet d’insuffler un souffle inédit à Dior.
En attendant son tout premier défilé homme, prévu le 27 juin 2025, Anderson en dit peu. Deux images partagées sur ses réseaux suffisent à créer l’attente : un portrait de Jean-Michel Basquiat, une photo de Lee Radziwill par Andy Warhol. Deux icônes au style fort, entre aristocratie et rébellion. Ces références donnent le ton d’une nouvelle ère où les genres, les références et les codes pourront être questionnés avec élégance. Fidèle à la tradition Dior, Jonathan Anderson s’apprête à réconcilier audace et héritage. Une équation qui pourrait bien redéfinir la mode homme pour la prochaine décennie.